L’arbre de la connaissance du bien et du mal est loin de laisser indifférent quiconque y fait face. Le but de cet article n’est pas de présenter “la” façon correcte de comprendre cet arbre là, mais plutôt de présenter une lecture qui contraste avec certains penchants gnostiques. En effet, une lecture de la Genèse pourrait laisser penser que manger du fruit interdit a donné à Adam et Ève une réelle “connaissance du bien et du mal”. Cela voudrait dire pour certains lecteurs qu’ils ont reçu un savoir plus haut qui leur permet d’intégrer et d’unifier ce qui apparaissait plus tôt comme une contradiction: le mal et le bien. Pour d’autres lecteurs, le pouvoir du fruit serait la capacité de désormais différencier le bien du mal. Dans les deux cas, c’est une réelle connaissance qui est assumée, et lorsque l’Eternel Dieu les empêche de manger du fruit de la vie, c’est alors de la jalousie qui en ressort: un Dieu jaloux de sa création pour avoir osé atteindre le même savoir qu’Il possède. C’est en partie en opposition à de telles lectures que nous tenons à illuminer l’image de l’arbre de la connaissance. Les conséquences d’une telle mythologie font de Dieu un démiurge et du serpent un héros qui libère l’humanité de ce règne tyrannique.
Comment alors comprendre l’arbre de la connaissance d’une manière qui semble plausible?
Connaissance, bien et mal:
Afin de comprendre pourquoi Dieu interdit initialement à Adam et Ève de manger de cet arbre, et les conséquences qui en suivent, il serait important de commencer par une élucidation des concepts en question. Dans la cosmologie biblique ainsi que la tradition classique, le bien et le mal sont des catégories qui devraient être comprises en relation à une identité ou un but. Le bien correspond à ce qui est au service d’une identité et nous bouge en direction du but en question alors que le mal nous en éloigne, étant une force de dissolution de l’identité.1 Un bon fruit peut alors supporter son but (est bon à manger, nutritif et donne de l’énergie) alors qu’un mauvais fruit n’est pas adéquat au but qu’il devrait servir, servant donc un “but étranger”(n’est pas comestible, causerait une maladie). De ce fait, en relation avec l’Homme, le bien et le mal font référence au potentiel et à la terre qui supporteront ou pas son identité. Le bien est le potentiel que l’Homme peut couvrir avec son identité, alors que le mal est un potentiel qui ne pourra être couvert par son identité; un problème, une question. Nous avons longuement traité le thème du bien et du mal à l’échelle humaine dans nos articles précédents (Un exil dans le temps avec Jordan Peterson et Matthieu Pageau, Une exploration de l’espace avec Jordan Peterson et Matthieu Pageau) Il est important de rappeler que les identités n’existent qu’au sein de hiérarchies. De ce fait, si l’on prend l’identité d’un écrivain au moment de son écriture, le mal constituerait l’ordinateur qui ne fonctionne pas, ou un état de fatigue qui empêche la concentration. Si l’on prend son identité en tant que fils ou en tant que frère, d’autres phénomènes constituent “le mal”. Dans le cas d’Adam et Ève, on pourrait dire que c’est le principe même de l’identité qui est considéré sans nécessairement s’arrêter sur une identité particulière.
Ayant examiné les concepts de bien et de mal, il nous reste à nous questionner au sujet de “la connaissance” dans un contexte biblique. Nous tenons à faire remarquer que “la connaissance” qui est accrue à Adam et Ève n’est pas la capacité de discerner ce qui est bon de ce qui est mal. Ce n’est pas en mangeant du fruit qu’ils reconnaissent ce qui est bien et ce qui est mal, afin de pouvoir naviguer dans le monde en évitant l’un et se rapprochant de l’autre. Une telle lecture ne peut s’accorder avec la suite des événements de l’histoire: la honte, l'exil et une condamnation à la mort. Les conséquences du fruit deviennent dans ce cas des punitions arbitraires imposées par un Dieu extérieur. L’hébreu originel qui a été traduit à “connaissance”, “yadaa”, nous pointe dans une autre direction. En effet, il s’agit du même verbe qui est utilisé lorsque Adam et Eve se connaissent afin de donner naissance à Caïn et Abel. Ainsi, “la connaissance du bien et du mal” n’est pas une abstraction, mais plutôt une intégration et un engagement avec ce qui est bien et mal. Un état de connaissance du bien et du mal est alors un état où l'Homme a intégré à son corps ce qui supporte son identité, mais aussi ce qui est contre.2 Dans le cas d’Adam et Ève, cette intégration n’est pas proprement unifiée au sein d’une identité, parce que la source de leur identité (Dieu) leur avait interdit cela. De ce fait, manger du fruit n’est pas un discernement mais plutôt une confusion entre le bien et le mal dans la mesure où les deux sont désormais des composants de leur corps de manière non unifiée. Nous proposons que la capacité de discernement est en fait une solution à cette intégration prématurée dont le but sera de discerner entre ce qui peut supporter l’identité et ce qui ne peut pas. Ce discernement aura alors pour but de se séparer du mal qui a été intégré précédemment. Telle est la tâche donnée à Caïn “Si en revanche tu agis mal, le péché est couché à la porte” (le mal a été intégré) “et ses désirs se portent vers toi” (la confusion) “mais c’est à toi de dominer sur lui” (la tâche de discernement).
Nous tenons également à rappeler que l’arbre est présent dans le jardin, et est tout autant “agréable à voir et bon à manger”. Cependant, Dieu interdit tout de même à Adam et Eve d’en manger. Il est important de se mettre dans la cosmologie biblique afin de comprendre cela. Nous apprenons plus tôt que Dieu crée Adam et souffle dans ses narines le souffle de la vie. Ainsi, l’identité d’Adam provient donc de Dieu. Si manger du fruit est interdit par Dieu, c’est parce qu’Adam lui-même en souffrira, étant fait à son image. On ne doit pas alors comprendre cette interdiction comme étant extérieure et imposée à l’identité d’Adam et Ève, mais une réflection de l’incompatibilité inhérente de certains éléments de la création avec leur identité actuelle. En d’autres termes, l’identité d’Adam et Ève ne peut couvrir tous les faits de la terre mais uniquement ceux qui seront au service de leur identité. Ce principe s’applique pour toutes les identités que nous connaissons: un ordinateur ne peut pas être construit à base d’algues, une voiture non plus, mais chacun nécessite le matériel adéquat afin de supporter l’identité en question. Si trop de matériels étrangers sont intégrés, cela résulte en “la mort de ces identités”. D’une manière analogue, l’identité de l'Homme ne peut pas couvrir toute la création en un instant. Une grande partie de ces faits seront “mauvais” et constitueront des problèmes causant inévitablement la mort d’Adam et Ève, la dissolution de leur identité.
Bien évidemment, l’inconnu qui n’a pas encore été rencontré et nommé contient le potentiel de supporter notre identité mais tout autant le mal qui causera notre dissolution. Manger de cet arbre est alors agir de manière inconsciente, il s’agit d’interagir avec l’inconnu de manière non raisonnable (considérant que Dieu, le créateur de toute normativité qui pourrait être appliquée, interdit cette interaction). La source de notre raison est Dieu, et il nous interdit de manger de ce fruit. C’est alors en agissant contre la raison, et donc au service d’une raison étrangère, que l’externalité empoisonnée va finir par être intégrée. Le potentiel qui est intégré et actualisé de cette manière pourra constituer certaines nouvelles solutions, mais surtout l'intégration de nouveaux problèmes et de questions. Pour cette raison, afin de pouvoir rester dans le jardin, Dieu interdit d’alors d’interagir avec cet arbre qui causera l'intégration d’une mixture de mal et de bien. Intéressons-nous davantage à la tentation du péché originel, qui n’est peut-être pas uniquement l’origine historique, mais surtout l’origine ontologique de tout péché. En d’autres termes, le péché originel serait la forme prise par tout péché.
La tentation:
Nous avons présenté que manger du fruit de l’arbre résulte en une intégration de ce qui est mal et ne peut supporter notre identité, nous mettant au service d’une identité étrangère. Mais pourquoi Adam et Ève seraient-ils tentés par cela? Quelle tentation pousserait quiconque à interagir avec un problème qu’il ne pourra pas nommer et qui ne pourra pas supporter son identité? Les sciences cognitives s’accordent à nous dire que “le cerveau humain” cherche à prédire et faire sens du monde, alors comment est-ce possible qu’un tel cerveau soit tenté d’interagir avec ce qu’il ne pourra pas expliquer? En théorie, notre esprit devrait ressentir de l’aversion envers toute externalité qu’il ne pourra pas nommer afin d’éviter la réponse physiologique coûteuse qui en suit nécessairement (le stress et l’anxiété). La promesse du serpent dans le jardin est la suivante: “Le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal”. Ce n’est donc pas une attirance au “mal” (ce qui ne peut pas être nommé) en tant que “mal” qui est manifestée par ce péché: notre identité cherche toujours à se préserver. Au contraire, c’est en pensant que “ce mal” pourrait en fait être nommé et contenu au sein de l’identité que ce “mal” acquiert son attirance. Il est camouflé et déguisé en “bien”. Et plus les faits qui semblent explicables sont loins, plus ils seront attirants pour un modèle dont le but est de faire sens du monde.
Lorsqu’on se rend compte que toute interaction avec le monde est effectuée du point de vue de notre identité, l’externalité prend alors cet aspect bivalent. L’externalité devient alors la source de vie dans la mesure où elle permet de nourrir l’identité et de lui donner un corps et une expression tangible (le bien). Cependant, l’externalité est aussi la mort inévitable de cette identité dans la mesure où de nombreux faits empoisonnent notre esprit, et ne peuvent le soutenir mais au contraire causent la mort (le mal). De cette manière, la création et l’existence prennent alors la forme d’un paradoxe pour l’intelligence humaine. L’externalité est à la fois terrifiante et attirante, et l’intelligence a du mal à accepter son incapacité et impuissance face à ce paradoxe. La tentation de l’intelligence est alors d’intégrer de manière cohérente ces aspects opposés sous un seul principe pensant pouvoir trouver le sens de cette énigme à l’instant même. Mais telle est la tentation du serpent qui fait croire à l’Homme qu’il est capable d’obtenir le savoir du bien et du mal, et de devenir à l’instant comme Dieu: il pousse l’Homme à refuser son existence limitée pour laquelle les catégories de bien et de mal ont de réelles conséquences et ne peuvent être intégrées imprudemment.
La connaissance qui est alors promise est une parodie et une imitation de la réelle connaissance de Dieu. Dieu est le créateur de tout, et Il est donc l’origine du bien et du mal* (et donc également leur but ultime) d’une manière mystérieuse qui échappe aux créatures limitées. Le serpent refuse ce mystère, et en fait une parodie avec Adam et Eve qui sont alors piégés par cette promesse qui leur fait croire qu’ils pourraient eux aussi intégrer le bien et mal à l’instant même, sans aucun effort spirituel. Le résultat n’est pas une vraie connaissance, mais une intégration précipitée, motivée par le désir, causant la dissolution d’une identité désormais attaquée de l’intérieur par son propre corps (ayant intégrée le mal).
Fausse et vraie connaissance:
Nous avons mentionné que la réelle “connaissance du bien et du mal” que possède Dieu en tant que créateur n’est pas à confondre avec le résultat du fruit interdit. C’est sur cette distinction que repose le sens de l’histoire, et il est donc important d’insister que le savoir proposé par le serpent est une imitation parodique du savoir divin. Nous proposons alors de nous pencher sur ce qui caractérise cette distinction, un questionnement qui nous poussera inévitablement à contempler l’histoire du Christ.
Qu’est ce qui différencie une vraie d’une fausse connaissance? La façon d’interagir avec le mal et la dissolution de l’identité constitue une piste de réponse. En effet, les réalités du mal, de la maladie, de la mort et de la trahison de l’autre ont de réelles conséquences. Elles perturbent réellement l’identité dans la mesure ou elles échappent à notre capacité à trouver du sens, nous laissant en exil. De ce fait, toute réelle connaissance du mal nécessite une perte de contrôle et un abandon de l’identité précédente dans la mesure où c’est cela qui est requis par le mal. La vraie connaissance du mal afin de l’intégrer et en faire sens doit alors venir d’un sacrifice de soi (et de son précédent modèle), et d’un courage de se lancer dans ce qui est contre soi. La connaissance qui est promise à Adam et Ève en aucun cas ne nécessite de telles mesures. Au contraire, “la connaissance du bien et du mal” attire leur désir, c’est un désir d’être comme Dieu (non pas à son image, qui serait une acceptance de la réalité fractale) qui motive alors cette connaissance. On peut alors dire qu’ils intègrent le bien et le mal pour la mauvaise raison, et cette raison est insuffisante afin d’expliquer et d’unifier ces opposés une fois intégrés. Le mal qui est intégré n’est pas couvert par l’identité adéquate (qui leur avait interdit cela à ce moment de l’histoire) et finit donc par causer l'exil du jardin et ultimement la mort. Paradoxalement, Adam et Ève finissent dans le monde de la mort, précisément parce qu’ils ont refusé de reconnaître son existence. En refusant de comprendre qu’ils ne pourraient nommer et couvrir certains phénomènes, et donc en refusant de réellement perdre contrôle, ils finissent par le perdre totalement et de manière involontaire. La promesse de “connaissance du bien et du mal” est une perversion lorsqu’elle est actualisée de manière immédiate afin de satisfaire les désirs: elle ne résulte pas en une vraie connaissance mais en une confusion et un exil involontaire.
Ce qui caractérise une fausse connaissance semble alors être la raison derrière un désir de contrôle, contrairement à une acceptation de nos limitations et un sacrifice de soi. Une question complémentaire se pose désormais à nous: à quoi ressemblerait une vraie connaissance du bien et du mal? Quel principe, ou plutôt quelle personne, pourrait unifier l’apparent paradoxe de la création qui est à la fois source de vie mais également de la mort et la trahison? Il serait difficile de trouver une question plus fondamentale que celle-ci. Et l’histoire du Christ semble être la réponse à cet ultime paradoxe.
Nous tenons d’abord à insister sur l’importance de la personne du Christ et son existence incarnée afin de résoudre ce problème. D’innombrables systèmes philosophiques se sont efforcés de traiter ce paradoxe de manière intellectuelle. Mis à part la pensée Hégélienne au sujet de laquelle nous ne sommes pas compétents pour discuter, la pensée Jungienne est également très concernée par ce problème des opposés et la manière avec laquelle ils doivent nécessairement être synthétisés par le savoir divin. Jung comprends clairement la nécessité de la coexistence du bien et du mal au sein du savoir divin, une coexistence sans laquelle la création resterait un paradoxe insoluble.3 Cependant, et c’est ici que nous observons l’importance d’une compréhension narrative et incarnée, dire que le “mal” est intégré par Dieu n’implique en aucun cas la nécessité que Dieu lui même soit un traître, un meurtrier ou un serpent trompeur (Jung lui-même étant souvent poussé à parler du côté sombre de Dieu qu’il voit comme une nécessité afin de synthétiser la création). De nombreux chrétiens traditionnels ressentent de l’aversion à l’idée du “bien et du mal” compris dans le savoir divin précisément par peur que les connotations soient que Dieu lui-même approuve du mal. Et ces craintes sont certainement justifiées par certaines déclarations gnostiques qui penchent vers une médiation abstraite plutôt qu’une vision incarnée. Comment l’histoire du Christ résout-elle ce problème?
Des Évangiles, il est clair que le Christ apparaît sans péché. Donc, s’Il exemplifie une vraie connaissance du bien et du mal, ce n’est pas en s’engageant avec le mal. Mais c’est précisément cette pureté et douceur du Christ qui a tant troublé Jung, le poussant à voir l’Incarnation comme incomplète, dans la mesure où elle ne semble pas synthétiser le bien et le mal à ses yeux. C’est pour cette raison qu’il observe la nécessité du livre de la Révélation: l’épée et le jugement du Christ étant de réelles manifestations de la connaissance du mal dans la mesure où ils symbolisent son règne sur le mal et les pêcheurs. L’absence de résistance au mal durant sa vie est pour Jung une image incomplète d’un savoir divin qui unit les opposés en sa personne. À ses yeux, la seconde venue apparaîtra comme une synthèse plus complète dans la mesure où le Christ sera un juge sur le mal et les pêcheurs subiront Sa main gauche. Nous ne ressentons aucun besoin d’être totalement engagés aux pensées de Jung à ce sujet, mais ses réflexions sont également dures à ignorer.
En effet, ce n’est pas uniquement en étant victime du mal que ce dernier finit par être expliqué ou conquis. Ce n’est pas simplement en mourant que tout le monde défait la mort et fait prévaloir la vie. La mort d’Adam et Ève n’est pas la résurrection: les images généralement exprimées sont celles d’un emprisonnement en attente du sauveur. Mais vu de l’extérieur, le Christ est victime du péché (des autres), de la mort, et semble tomber “dans le mal”: quel est alors le secret qui fait de cette apparente victimisation une actuelle conquête? Ce mystère ne sera surement pas révélé par la fin de cet essai, mais nous proposons d’apporter tout de même certaines réflexions. Si Adam et Ève ont pris le fruit par désir d’obtenir la connaissance de Dieu à l’instant, le Christ comprenait la réalité du mal et n’avait aucun désir de l’intégrer de manière précoce. “Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne.” Ce n’est pas par insouciance ou sentiment d’invincibilité qu’Il finit victime du mal: Il savait qu’il allait être trahi, connaissait le sort qui l’attendait et souffrait les conséquences de ce savoir. C’est en renonçant sa volonté à celle du Père, et en acceptant consciemment toute la réalité du mal, que ce dernier est finalement défait. De cette manière, on peut déjà entrevoir que le Christ n’est pas entièrement victime du mal: il est conscient de toute la souffrance qui l’attend, et ce n’est pas à la mort qu’il se soumet mais au Père. En souffrant donc le mal de manière consciente et fidèle à la volonté de Dieu, il semblerait qu’une mystérieuse conquête et intégration du mal soient rendues possibles en la personne du Christ. Il finit donc par régner sur le mal, et toute la création, en le souffrant consciemment sans désobéir au Père. Quel contraste à l’histoire de la Genèse!
Ainsi, la réalité narrative nous montre que la connaissance du bien et du mal n’est pas une simple synthèse intellectuelle où les deux opposés coexistent de manière égale. Il existe une asymétrie entre le bien et le mal, et c’est en étant souffert par amour que le mal semble être racheté. De ce fait, seul l’amour est une raison assez forte afin d’unifier le bien et le mal, et elle n’est pas sans conséquence. Jamais le Christ ne précipite la non-dualité au détriment de la création actuelle. En nous commandant d’aimer nos ennemis, Il reconnaît clairement la réalité et l’existence des ennemis au présent. Il nous demande de les aimer en tant qu’ennemis, donc non pas de les aimer sous nos propres termes, mais d’accepter ce qui est contre nous et de l’aimer. Nous pouvons donc avoir une idée de la ressemblance de l’Antéchrist au Christ au vu de tout ce que nous avons dit. Tous deux proposent une solution au paradoxe inhérent à la création et à l’existence. Tous deux proposent une unification des principes opposés, mais c’est dans la manière de cette unification que la distinction pourra être faite. L’idéal de l’Antéchrist est au détriment du monde actuel. C’est une transcendance qui échappe aux opposés et refuse toutes catégories de notre existence limitée. Le Christ transcende ces opposés précisément en les souffrant de manière consciente afin de les racheter et de les faire participer à Son royaume.
Conclusion:
Nous pouvons donc conclure que la connaissance du bien et du mal qui suit la tromperie du serpent serait mieux comprise comme une confusion dont le résultat naturel est l’exil. S’il était possible d’obtenir le vrai savoir du bien et du mal en mangeant le fruit par désir, le serpent aurait raison et la mort ne serait qu’une punition extrinsèque d’un Dieu jaloux. En contraste, la réelle connaissance du bien et du mal n’est pas une unification précoce qui refuse le mal et la dualité afin d’unifier la création avant son temps. L’histoire du Christ nous montre que la réelle connaissance nécessite la souffrance de ces opposés, la descente dans le mal et le péché avec amour et fidélité à la volonté du Père. Il ne s’agit pas d’une synthèse intellectuelle entre deux positions égales qu’on travaille afin de réconcilier. C’est plutôt en régnant sur le mal que ce dernier est vaincu, mais ce règne prend paradoxalement la forme d’une souffrance consciente au service de Dieu. De cette manière, le mal est transformé en source de renouveau, sans pour autant sauter à la conclusion fallacieuse (gnostique) que le plus grand des maux devient le plus grand des biens.
[1] Pageau, Mathieu “The language of Creation: Cosmic Symbolism in Genesis: A commentary”, 2018 à 213
[2] Matthieu Pageau: The Language of Creation (Dan Sherven) https://www.youtube.com/watch?v=uIGLrx7APb4&t=2741s
[3] Jung, Carl Gustav “Aion: Researches into the Phenomenology of The Self”, Routledge Fifth Reprinting of the Second Edition 1981, traduit par R.F.C Hull
* Il est important de mentionner que Dieu ne crée pas le mal de manière directe mais crée plutôt un monde ou la possibilité du mal existe. Tout bien considéré, il est capable de rediriger le mal vers sa mission à travers la repentance. Cependant, il est toujours important de rappeler qu’Il ne crée pas le mal Lui-même, et que le mal demeure une force parasite, sinon on tomberait dans une opposition symétrique qui ferait que le plus grand des maux (La trahison de Judas) est en fait le plus grand des biens puisqu’elle permet la résurrection…
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